La force de l'avant-garde réside dans les détails

César Muntada, comment êtes-vous devenu un designer aussi singulier ?
Je viens d'une famille où l'art et le design jouent un rôle important : ma grand-mère était pianiste, mon père était architecte. J'ai donc grandi dans un univers qui a, en quelque sorte, conditionné mon mode de vie. J'ai toujours été entouré d'objets un peu extravagants. Souvent, j'ai assisté à la création de nouveaux objets qui semblaient naître à partir de rien, grâce à quelques coups de crayon dessinés sur une feuille blanche.
J'ai également été marqué par mes études de design automobile au Royaume-Uni. Au début, j'étais si mauvais en anglais que je ne comprenais presque rien aux cours. À la fin du premier briefing que nous avions reçu pour un projet, tous les étudiants ont quitté la salle. Je suis resté tout seul à essayer de comprendre ce qu'on attendait de nous. Nous devions concevoir un téléphone, c'est à peu près tout ce que je savais. Mais où étaient-ils tous partis ? Le professeur m'a dit qu'ils étaient allés à la bibliothèque pour faire des recherches. Je me suis dit que c'était une bonne idée et j'ai fait de même. Mais bien sûr, il ne restait aucun livre sur les téléphones : ils avaient sûrement été tous deja empruntés parce que j'étais arrivé trop tard. En revanche, la bibliothèque était fantastique. On pouvait véritablement s'y perdre ! J'ai dévoré les livres un à un en passant d'un sujet à l'autre : nature, architecture, aéronautique... Plusieurs semaines se sont écoulées comme ça, jusqu'à ce que je repense au téléphone. Je me suis alors mis au travail.
Le jour de la présentation, tout le monde avait créé un téléphone qui ressemblait à un téléphone. Sauf moi. On m'a demandé avec enthousiasme : « Comment as-tu eu cette idée ? Ton design ne ressemble à rien de ce qu'on a pu voir jusqu'à présent ! » C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que si on a la même approche que tout le monde, on crée forcément la même chose que les autres. J'ai pris la résolution d'essayer de porter un regard neuf sur les choses, aussi souvent que possible. C'est ce que je continue de faire aujourd'hui, afin d'être le genre de designer artistique que j'ai envie d'être.
César Muntada
En tant que responsable de la conception de l'éclairage et de la conception des roues, César Muntada est à l'origine du look inimitable de tous les modèles Audi. Depuis 2007, ce visionnaire oriente le département du design d'Audi avec sa passion pour l'innovation et la technologie. Après avoir grandi dans la métropole artistique de Barcelone et effectué divers séjours à l'étranger, cet Espagnol a fait des études de design automobile à l'Université de Coventry au Royaume-Uni. Il considère la lumière comme le moyen de communication le plus important du futur.
Comment cette philosophie s'exprime-t-elle dans votre travail chez Audi ?
Elle s'exprime dans notre approche particulière du processus de conception. Chez Audi, nous donnons vie à ce dont nous avons besoin ou à ce que nous trouvons passionnant, sans nous contenter de ce qui existe déjà. Si la technologie que nous voulons utiliser n'est pas prête pour le secteur de l'automobile, nous la développons. C'est grâce à cet état d'esprit que nous pouvons aujourd'hui travailler avec des LED, avec la technologie laser, avec des OLED ou avec des projections basées sur le principe des vidéoprojecteurs. Nous ne nous limitons pas à ce qui se fait aujourd'hui, nous pensons toujours à la prochaine étape.
Pourtant, même ce qui se fait aujourd'hui est déjà fascinant, vous ne trouvez pas ?
C'est vrai. La technologie d'éclairage s'est développée rapidement ces dernières années. Au début, les technologies étaient simples et ne nous permettaient pas de concevoir des formes complexes. Depuis, l'électronique a évolué et nous disposons aujourd'hui d'une énorme liberté créative. C'est ainsi que nous pouvons désormais concevoir des pièces qui s'intègrent parfaitement au reste du design du véhicule. Chaque voiture transmet un message, et nous y participons en soulignant ce message. Cette liberté et ces possibilités ont été rendues possibles par les LED, que nous avons enfin pu placer exactement comme nous le voulions pour décrire une forme ou une ligne.
Quelle est l'intention créative qui sous-tend tous les projets d'éclairage chez Audi ?
Bien sûr, chaque Audi arbore une signature lumineuse différente. Mais le point commun de tous les modèles, c'est leur caractère très dynamique, extrêmement précis et sans ostentation. Nous souhaitons inspirer un sentiment de clarté et de calme, que ce soit de loin ou dans les détails.

Véhicule allemand présenté.
Véhicule allemand présenté.
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Nous souhaitons inspirer un sentiment de clarté et de calme, que ce soit de loin ou dans les détails. »
De loin, certaines personnes perçoivent encore la lumière LED comme trop froide. Qu'en pensez-vous ?
La température de lumière habituelle des LED n'est aucunement artificielle ou froide. En réalité elle est proche de celle de la lumière du jour. Toutefois, même la température de la lumière du jour nous semble inhabituelle lorsque nous conduisons de nuit. Nous avons tendance à associer la lumière de nuit à des couleurs chaudes.
Les LED peuvent s'adapter à presque toutes les situations en changeant leur couleur, leur température de lumière et leur intensité. Des problèmes se posent lorsqu'elles sont mal utilisées, par exemple, lorsqu'on a recours à une intensité lumineuse trop forte là où elle n'est pas nécessaire. Les LED peuvent alors perturber ou énerver. Evidemment, c'est ce que nous voulons éviter. C'est pourquoi nous avons, par exemple, conçu une matrice où les feux de route s'éteignent automatiquement lorsqu'une voiture arrive en face.
En dehors des possibilités de la technologie LED, quelles tendances constatez-vous dans le domaine de l'éclairage ?
Ce que je trouve particulièrement intéressant, c'est qu'on assiste à une toute nouvelle sémantique du mouvement. Vous vous souvenez des égaliseurs ? Ces vieilles machines avec lesquelles on pouvait voir le son parce qu'une lumière se déplaçait dessus ? Aujourd'hui, nous visualisons le silence, c'est-à-dire des impulsions électroniques qui ne font plus de bruit et dont la fonction n'est révélée à l'utilisateur qu'au moyen de signaux lumineux.
Où trouvez-vous l'inspiration aujourd'hui ?
La nature a créé énormément de merveilles et tout y est plus ou moins basé sur la lumière. Par exemple au crépuscule, lorsque les étoilent s'allument peu à peu, et que les étoiles commencent à briller, cette lumière envoie des messages du passé. Ce phénomène m'incite parfois à imaginer de nouveaux messages pour l'avenir. Et puis, il y a les livres, dans lesquels je continue de me perdre. Je lis parfois très lentement pour comprendre exactement pourquoi ce mot-là a été choisi plutôt qu'un autre. La force d'une phrase réside souvent dans les détails.
Mais ce que j'aime le plus aujourd'hui, c'est l'inspiration que m'apportent les conversations avec mon équipe. Comme je viens de Barcelone, je cultive la culture du déjeuner entre collègues. Nous parlons de toutes sortes de choses ; tout le monde veut changer le monde ; la conversation passe d'un sujet à un autre, et à un moment donné, nous revenons presque toujours au même point : « Et si on essayait de faire ça ? Oui, bien sûr ! Pourquoi pas ?» Je suis entouré de nombreuses personnes modernes qui ont un état d'esprit positif ! Nous ne laissons les choses telles quelles que lorsqu'il est vraiment impossible de les améliorer.